L’auteur

Hery Ratafita  

Entre recrutement et marketing, j’aide les entreprises à trouver les bons talents et les candidats à révéler le leur.
Chez Talent.mg, je connecte opportunités, ambitions et parcours inspirants.

LinkedIn : le Master de la banalité (votre échec de la semaine vaut de l’or)

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[HOOK ULTRA ACCROCHEUR] STOP !

Avant de scroller, dites-moi : avez-vous déjà raté une réunion Zoom ? Oublié un mot de passe ? Renversé votre café ? Parfait. Vous avez raté de l’or. Car sur LinkedIn, vos pires gaffes sont le nouveau diplôme. Bienvenue à l’université où tout le monde est prof… de la vie quotidienne.

Si vous passez plus de cinq minutes sur LinkedIn, vous n’êtes pas seulement un utilisateur : vous êtes un étudiant involontaire de la Grande École de la Vie Professionnelle. Votre fil est un amphithéâtre mondial où les professeurs se succèdent à un rythme effréné. On ne débat plus de mécanique quantique, mais on vous apprend à respirer (c’est le secret du leadership) ou à transformer l’attente d’un ascenseur en une parabole sur la patience stratégique.

Mais pourquoi cette soif inextinguible d’enseigner la banalité ? Pourquoi ce besoin viscéral de transformer la moindre anecdote en maxime de vie professionnelle ? La réponse n’est pas spirituelle, elle est avant tout stratégique, marketing, et profondément algorithmique.

Le Marketing de l’échec : La stratégie du “Sage”

Ce flux de leçons de vie est le résultat d’un constat implacable : le storytelling forcé , ces fameuses histoires où “je suis tombé dans l’escalier et j’ai appris 3 leçons de leadership” est l’outil de performance le plus efficace pour le personal branding.

1. L’Adoration de l’Algorithme : Émotion = Visibilité

L’algorithme est le premier coupable. Il adore les posts qui génèrent des réactions, des commentaires, et de l’émotion. Rien ne provoque plus d’émotion qu’une histoire, même mal ficelée.

Le calcul est brutal : Récit = Engagement = Visibilité = “Je deviens quelqu’un”.

Le storytelling est devenu le passeport vers l’existence. La plupart des utilisateurs ont intégré la règle : Si je ne fais pas de bruit, personne ne me voit. Ils publient donc des histoires qui, même si elles n’ont aucun lien avec leur métier, finissent toujours par la même morale passe-partout : “Et c’est comme ça que j’ai appris qu’il faut croire en soi.”

2. Les acteurs clés du “Reach

Ce phénomène de l’industrialisation du contenu par l’anecdote est principalement soutenu par des acteurs dont la visibilité directe est le produit ou la monnaie d’échange. Ces catégories professionnelles sont naturellement poussées à maîtriser l’art du storytelling émotionnel :

  • Les Coachs et Experts en Mindset : Leur offre repose sur l’inspiration et la transformation personnelle. Leur succès dépend de leur capacité à créer une résonance émotionnelle rapide. Le drame (rapidement suivi de la solution) est, pour eux, une nécessité opérationnelle.
  • Les Freelances et Jeunes carrières : Face à un réseau saturé, l’histoire est une stratégie d’acquisition de crédibilité. Lorsqu’un portefeuille client solide n’est pas encore établi, raconter une anecdote personnelle devient la preuve sociale de leur drive et de leur valeur potentielle.
  • Les Commerciaux et Marketeurs : Ils sont les plus sensibles à la logique de la performance. Ils savent que l’équation est simple : Story = Clics et Clics = Prospects. Leur professionnalisme consiste à optimiser chaque interaction, quitte à pousser le curseur très loin – transformant, avec un certain génie, la composition d’une salade en métaphore de stratégie d’entreprise.

La fatigue du Capitaine obvious

Ce comportement stratégique a toutefois un prix : la saturation et l’ennui. Le fil d’actualité est souvent saturé de sagesse forcée si banale qu’elle frôle l’absurdité.

Pour le spectateur cynique, c’est l’apparition constante de Capitaine Obvious :

  • “Mon conseil du jour : Si vous voulez réussir, il faut travailler dur !”
  • “J’ai vu un écureuil ramasser une noisette. C’est la preuve que la persévérance est la clé de la réussite professionnelle.”

Merci, Capitaine. Sans ces révélations, nous aurions continué à attendre le succès en dormant. Cette sur-analyse de l’anodin crée une illusion de profondeur, où la mousse l’emporte sur la substance pour les besoins de la performance et du reach.

Pourquoi on clique sur le “Tellement Vrai !”

Au-delà de l’algorithme, il existe un moteur psychologique puissant qui garantit le succès des posts les plus basiques : la quête de validation et la culture du consensus.

Lorsque vous lisez une “leçon de vie” qui vous dit : “Boire de l’eau, c’est bon pour la productivité”, vous ne l’apprenez pas. Vous vous dites : “Ah ! C’est vrai, je le savais déjà.” Ce sentiment de confirmation est incroyablement gratifiant.

  1. Le Plaisir de la Confirmation : Liker un post simple n’est pas un signe d’apprentissage, c’est un signe d’accord. C’est facile, rapide, et ça vous place dans le camp des gens intelligents qui “savent”.
  2. L’Évitement de la Controverse : Les conseils de Capitaine Obvious sont sans danger. Personne ne va commenter : “Non, boire de l’eau est contre-productif !”. Ils créent un consensus facile et chaleureux.
  3. L’Inflation de l’Ego : En commentant : “J’ajouterais même que respirer est crucial !”, vous augmentez votre propre contribution à la sagesse collective sans avoir à fournir une analyse originale.

Ce phénomène nous pousse à être tous, à des degrés divers, des professeurs du quotidien. Nous avons intégré la règle : l’expérience non partagée n’a pas existé (sur LinkedIn), et l’expérience non consensuelle n’a pas sa place.

Entre sincérité et performance

Néanmoins, tout n’est pas à jeter dans ce grand bain de moralité professionnelle. C’est là que réside tout le paradoxe de LinkedIn : c’est un mélange inéluctable de sincérité (quelques posts sont vraiment utiles) et de performance (la majorité sont des tentatives de branding).

Même si le comportement est motivé par des stratégies froides de marketing, cette tendance a une conséquence positive involontaire. Cette habitude d’extraire des leçons de la vie quotidienne est, en soi, une compétence puissante :

  • Pour l’Auteur : Elle force à l’auto-analyse, à la réflexion, et pousse à conceptualiser une idée, même simple. Le processus de transformation de l’expérience brute en “leçon” est une démarche constructive.
  • Pour le Lecteur : Même si le conseil est bateau, cette récurrence force, ne serait-ce que par l’agacement, à prendre une pause et à décortiquer ce que nous vivons.

LinkedIn nous force tous à devenir des conteurs d’histoires. Nous sommes à la fois étudiants agacés et professeurs malgré nous. C’est un grand théâtre où la banalité devient contenu viral, et où chaque expérience personnelle est transformée, souvent au marteau-piqueur, en leçon universelle.

Et honnêtement… parfois, c’est drôle, parfois c’est utile, et souvent… c’est juste LinkedIn, dans sa course perpétuelle à l’engagement et au thought leadership bon marché.

L’appel du devoir d’enseignant

Le véritable secret de LinkedIn n’est pas la sagesse partagée, mais la sagesse mise en scène. La question n’est plus : Qu’avez-vous appris ? mais Comment allez-vous le rendre viral ?

Alors, la prochaine fois que vous faites tomber votre stylo (leçon sur la gravité) ou que vous manquez de café (leçon sur la gestion des ressources critiques), ne vous contentez pas de le vivre. Documentez-le ! Analysez-le ! Mettez-y trois listes à puces et un appel à l’action.

Le monde professionnel attend votre sagesse (optimisée).

Et vous, quelle a été votre grande leçon du jour ? Racontez-nous en 3 points (c’est plus viral) et partagez l’emoji qui résume votre résilience !

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